Rechercher sans se montrer en recherche: le paradoxe.
« … Mais pourquoi diable devrais-je utiliser votre approche? Elle ne me convient pas.
Je n’ai pas envie de me camoufler derrière ce blabla, cette offre de service virtuelle, et utiliser des stratagèmes pour approcher mon potentiel futur patron: je n’ai pas honte de moi, ni de ma situation. Je veux approcher les gens parce qu’ils ont un poste à pourvoir ou pour leur demander s’ils en ont un à pourvoir auquel je correspond. »
Et pan!
Voici le direct du droit que j’ai pris à la pointe du menton hier midi.
J’ai pendant tout le reste de la journée cogité sur le sujet.
Je demande aux cadres et dirigeants que j’accompagne de se montrer fiers, humbles mais pas modestes, de croire en eux, de se montrer convaincus… et je leur enseigne une approche d’une ‘subtilité’ telle que certains pourront la qualifier de sournoise après tout, car je leur fais approcher les différents relais vers leur futur employeur en quête déclarée, officielle, de conseil et d’avis, non d’un recrutement sur un poste donné.
Peut-être ai-je tout a fait tort?
Il vaudrait peut-être mieux faire du réseau de façon totalement transparente: traquer ouvertement le poste, rencontrer des gens sur les recommandations d’autres personnes pour leur demander si elles peuvent nous prendre ou si elles ont vent d’ouverture de recrutement dans leur(s) réseau(x) respectif(s).
Finalement j’ai plutôt bien dormi (je tenais à vous rassurer…).
Car les choses se sont remises en place.
La réaction de cette dame est tout à fait normale: notre monde marche sur la tête, on fait bien trop souvent porter aux chômeurs le poids de leur situation. Comme s’ils avaient fauté… Comme si cette situation temporaire signifiait quelque chose quant à leur valeur professionnelle. Je le dis dans un de mes tout premiers posts (la colère est mauvaise conseillère): vous pouvez/devez être en colère. Mais cette colère ne doit pas être le carburant de votre rébellion ou de votre agressivité. Elle doit être l’énergie qui vous nourrit dans cette entreprise de longue haleine: trouver et choisir votre futur job.
Cela dit, ce n’est pas une raison pour faire du réseau de façon binaire en ne cherchant qu’à pister les offres d’emploi cachées. Il me semble que cette démarche est potentiellement bien plus riche et vous pouvez en tirer bien davantage. Ne nous trompons pas: vous êtes bien évidemment en recherche d’emploi, et vous ne devez pas vous en cacher. Mais lorsque vous parlez à quelqu’un que vous avez approché par le réseau, vous n’êtes pas encore certain que vous avez envie de postuler dans son actuelle société. Vous êtes peut-être davantage intéressée par une société de son passé. Ou finalement les informations qu’il/elle vous communique vous dissuaderont de faire partie de cette entreprise.
Ne brulons donc pas les étapes. Je sais pourquoi je vous conseille de faire du réseau en demandant des conseils et avis et non en postulant directement auprès de dirigeants que vous n’aviez pas dans votre cercle de connaissances en premier lieu. J’ai en fait 9 (très) bonnes raisons de vous demander d’agir ainsi.
Raison 1: Veuillez par avance accepter mes plus plates excuses pour le truisme qui suit. Pour obtenir des conseils et des avis ! De faisabilité. Pour confronter votre si beau projet, établi entre l’hémisphère droit et le gauche de votre cervelle, à la réalité des entreprises qui vous intéressent mais que vous ne connaissez pas bien, puisque vous n’y travaillez pas encore. J’espère ainsi que nous ne sommes pas hors sujet (vous qui l’avez conçu et moi qui l’ai validé).
Raison 2: Parce que cette démarche finit toujours pas marcher. Alors que je connais des chercheurs qui ont envoyé 1600 candidatures spontanées et répondu à plusieurs centaines d’annonces sans avoir eu une seule offre, voire aucun entretien. Vous en conviendrez avec moi, la démarche a au moins le mérite de vous faire rencontrer du monde, et engendre un certain climat positif de ce fait.
Raison 3: Pour obtenir du vocabulaire et des moyens de phraser mon projet de façon intelligible. Aussi incroyable que cela puisse paraître, on n’utilise pas systématiquement le même mot pour décrire les mêmes choses, selon les entreprises et les secteurs (voyez les différentes réalités derrière le vocable chef de projet). Si vous devez essayer de séduire et rassurer les décideurs d’un secteur donné, mieux vaudrait qu’ils vous comprennent. Je ne vous demande pas nécessairement d’adopter leur jargon, je vous recommande au moins d’abandonner le vôtre.
Raison 4: Pour ne pas tomber dans le piège d’être le candidat classique d’un recrutement et essayer de faire rentrer un rond dans un carré. Je sais d’expérience que lorsqu’elle procède à un recrutement ‘opportuniste’ (vs un recrutement ‘selon la procédure’, utilisant une annonce, voire un cabinet), l’entreprise se permet de vraies libertés par rapport au profil idéal virtuel qu’elle ne cessait de me demander de trouver lorsque j’étais chasseur. Soyons lucide, vous aurez toujours beaucoup de mal à satisfaire tous les critères d’une annonce. Il vaut souvent mieux que vous arriviez avant que la procédure de recrutement soit lancée, voire après qu’elle ait porté ses fruits. Ainsi on peut espérer que vos interlocuteurs se concentrent sur ce que vous leurs apportez plutôt que sur l’éventuelle adéquation de votre profil à leur ‘fantasme’.
Raison 5: Pour ne pas entendre la réponse bateau: « désolé il n’y a pas de recrutement chez nous en ce moment ». Car même si c’est vrai, il peut néanmoins y en avoir dans quelques mois. Dans votre genre de beauté en plus. Mais si vous n’avez pas pu parler avec la/les bonne(s) personne(s) avant, vous n’aurez aucun avantage pour ces prochains recrutement, car vous n’aurez pas pu faire d’impression forte et durable.
Raison 6: Pour obliger votre potentiel interlocuteur à vous prendre en compte. Si vous lui demandez son avis d’expert vous le flattez, certes, mais surtout vous le mettez dans une position telle que si elle/il vous dit non il/elle déclare de facto ne pas connaître son secteur d’activités, voire sa boite. Je sais, c’est mal, c’est de la manipulation…
Raison 7: Pour ne pas lui faire porter un poids trop fort. Si vous lui envoyez votre cv de la part de quelqu’un qu’il ou elle connait bien, auquel il/elle doit -par exemple- un service, ne le/la forcez-vous pas à essayer de faire quelque chose pour vous? Qui parle de manipulation alors?
Raison 8: Pour être certains que vous ne vous adressez pas à la mauvaise personne, et que vous ne mettez pas en situation de faire des efforts un individu qui n’a pas la capacité de faire ceux qui vous intéresse (par exemple, vous présenter à son n+3).
Raison finale: Pour demander quelque chose de facile, qu’il/elle n’a pas de raison de refuser. Vous écouter d’abord et répondre à quelques questions ensuite, est quand même beaucoup plus simple que de se mouiller pour dire de vous que vous êtes un bon candidat, alors qu’il/elle ne vous connait pas, auprès de sa hiérarchie ou des ressources humaines.
Non merci, je préfère que vous soyez votre propre avocat. C’est là que se situe votre expertise, vous êtes les mieux a même de faire l’argument de votre offre de service.
Finalement, je dois remercier cette dame pour deux raisons.
Elle m’a fait remettre en cause l’une des bases de ma démarche, en douter et finalement la fonder à nouveau. J’aime cette démarche essentiellement cartésienne.
Elle m’a aussi montré que ce que je tiens comme acquis n’est pas évident, pas pour tous, et rarement pour ceux qui commencent à travailler avec moi. J’explique sans doute ces choses comme si elles allaient de soi… et donc que je ne me mets pas au service de mes interlocuteurs en ne leur expliquant pas que je comprends leur situation, leur frustration et parfois leur détresse.
Car cette démarche n’est pas naturelle. Elle est, dans les faits, paradoxale. Mais elle obtient de très bons résultats, surtout pour les cadres expérimentés. Elle est superflue si vous souhaitez ne faire que répondre aux annonces ou envoyer des candidatures spontanées. Il me semble en revanche qu’elle est la bonne façon (la seule?) de faire du réseau lorsque l’on est en transition professionnelle, pour trouver un poste bien sûr, mais pas par défaut, pour trouver le bon car vous aurez procédé à l’étude de marché correspondante.
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