La sociocratie un mode de gouvernance partagée
Depuis 1911, et les “Principes du management scientifique” de Frederick Taylor, repris avec succès par Henry Ford et la majorité des industries mondiales après la première guerre mondiale, énormément de choses ont changé dans le monde. En revanche, le management assez peu. Il est resté fidèle aux principes d’organisation scientifique du travail, basé sur un postulat simple : le travailleur échange sa liberté contre un salaire, il applique sans discuter les procédures et processus qu’on a pensés pour lui. Et cela a donné le succès qu’on connait, qui a permis la deuxième révolution industrielle et la réussite économique du capitalisme au 20ème siècle.
Néanmoins, le monde du travail prévisible, planifié, organisé « scientifiquement », pensé par « Monsieur l’Ingénieur », a été bousculé par la troisième révolution industrielle, celle du savoir et des technologies de l’information. Les innovations successives d’Internet, de la mobilité, de la robotique, des algorithmes et du « machine learning », et des usages nouveaux qui en découlent, le changement climatique et la globalisation rendent le monde bien plus incertain, difficile à prévoir, complexe et très changeant. Le temps est donc venu de gouverner différemment, dans des organisations plus humaines du travail, favorisant un leadership à tous les niveaux et la coopération, et par voie de conséquence une rapidité de réaction et d’adaptation très supérieure, facteurs clés du succès économique, environnemental et social au 21ème siècle.
La gouvernance adaptative que nous utilisons chez AC Mentoring est issue de la sociocratie, méthode de gouvernance dynamique qui s’est développée depuis plus de 50 ans dans de nombreux pays et tous types de structures collectives (entreprises, associations, administrations, …). La sociocratie est un mode de gouvernance partagée qui permet à une organisation, quelle que soit sa taille, de fonctionner efficacement selon un mode auto-organisé, caractérisé par des prises de décision distribuées sur l’ensemble de la structure. Son fondement moderne est issu des théories systémiques et date de 1970. La sociocratie s’appuie sur la liberté et la co-responsabilisation des acteurs. Dans une logique d’auto-organisation faisant confiance à l’humain, elle va mettre le pouvoir de l’intelligence collective au service du succès d’objectifs communs. Cette approche permet donc d’atteindre ensemble un objectif partagé, dans le respect des personnes, en préservant la diversité des points de vue et des apports de chacun, ceci en prenant appui sur des relations interpersonnelles de qualité. Contrairement à des évolutions plus récentes comme l’holacratie, le modèle sociocratique est ouvert et libre.
La sociocratie utilise certaines techniques mises au point par son concepteur, Gerard Endenburg, qui fondent son originalité, notamment l’élection sans candidat, et la prise de décision par consentement. A la différence de la démocratie qui peut concerner un ensemble de personnes n’ayant aucune relation fonctionnelle entre elles, la sociocratie concerne des individus réunis par des objectifs au sein d’une organisation et qui ont donc des relations de plus grande proximité.
La diffusion de la sociocratie – ou « gouvernance dynamique » – en France a connu une très forte accélération à partir de 2007, lorsque Holacracy à été créée, très fortement inspirée par la méthode sociocratique de gouvernance, et exploitée commercialement par HolacracyOne, une entreprise marketing et de formation créée par Brian Robertson aux États-Unis.
Gerard Endenburg (nl) (1933-) est un ingénieur néerlandais en électrotechnique de culture quaker. Dans son enfance, il a bénéficié d’une scolarité dans une école alternative, fondée par Kees Boeke, utilisant une pédagogie proche de ce qu’on connait en France avec les écoles Montessori et Freinet, axée sur l’autonomisation des enfants et l’autorégulation dans la classe. Après avoir travaillé chez Philips où il a pu prouver ses grandes capacités inventives, Gérard Endenburg reprend en 1968 la direction de l’entreprise familiale Endenburg Elektrotechniek en remplacement de son père.
En 1970, atterré par les batailles d’égos récurrentes au sein du comité directeur de l’entreprise, il décide de se consacrer à améliorer l’organisation interne. Il invente alors progressivement la méthode sociocratique moderne. Celle-ci est fondée sur l’idée que personne ne doit être amené à fonctionner au sein d’un collectif dans un état de tension interne sans que ces tensions ne soient prises en compte. Les décisions collectives ne peuvent être adoptées au sein d’un groupe que pour autant qu’elles ne rencontrent « plus aucune objection argumentée d’aucun membre ». Ce qui signifie que lorsqu’une décision est proposée à un groupe, si une personne s’y oppose, soit parce que l’adoption de la décision l’empêcherait de fonctionner sereinement au sein du groupe, soit parce qu’elle pense que cela porterait atteinte à la raison même d’exister du groupe, son opposition argumentée empêche la décision d’être adoptée. La personne est tenue de justifier, d’argumenter son objection, et de participer à sa résolution.
Les quatre règles de base de la sociocratie :
La sociocratie utilise des règles de fonctionnement suffisamment simples pour qu’elles soient comprises par tous.
1 – Le consentement
En sociocratie, une décision est prise par consentement s’il n’y a aucune objection importante et argumentée qui lui est opposée.
2 – Les cercles
La structure de décision de l’organisation est parallèle à sa structure fonctionnelle. À chaque élément de celle-ci correspond un cercle. Les cercles sont connectés entre eux et organisent leur fonctionnement en utilisant la règle du consentement. Tous les membres de l’organisation appartiennent à au moins un cercle. Chaque cercle est notamment responsable de la définition de sa mission, sa vision et ses objectifs, de l’organisation de son fonctionnement et de la mise en œuvre des objectifs définis par le cercle de niveau supérieur.
3 – Le double lien
Un cercle est relié au cercle de niveau immédiatement supérieur par deux personnes distinctes qui participent pleinement aux deux cercles. L’une est élue par le cercle et le représente ; l’autre est désignée par le cercle de niveau supérieur et est le leader fonctionnel du cercle. Lorsqu’une organisation n’a qu’un cercle, les sous-cercles sont simplement des rôles.
4 – L’élection sans candidat
Quand il s’agit de choisir une personne pour occuper une fonction, un cercle sociocratique procède à une discussion ouverte et argumentée aboutissant à une nomination par consentement. L’absence de candidat garantit qu’il n’y a pas de perdant, et le consentement que chacun est convaincu que le meilleur choix possible a été fait.
Au delà de ces quatre grands principes, il existe des conditions, ou « pré-requis » pour mettre en oeuvre un mode de décision sociocratique.
Les 6 clés pour permettre à la Sociocratie de fonctionner
Les éléments ci-dessous sont issus du Centre Français de Sociocratie.
1 – Co-construire un cadre de sécurité :
• processus structuré (entrée, sortie, exclusion)
• cadre relationnel
• gestion des conflits
• régulation des tensions
La sociocratie regarde les tensions comme des écarts entre les situations souhaitées et les situations existantes. Les tensions sont donc des énergies disponibles pour progresser. L’espace sociocratique de régulation des tensions et de gestion des conflits est le cercle sociocratique. Si le cercle ne parvient pas à gérer le conflit, il peut recourir à son cercle supérieur ou demander la constitution d’un cercle d’aide. Le cercle peut également recourir à tout moyen qu’il juge pertinent pour régler le conflit et aller chercher des ressources externes.
2 – Choisir un processus de prise de décision :
• cultiver l’art de décider
• consentement
• élection sans candidat
• gestion par consentement
La décision en sociocratie est régie par le processus de prise de décision par consentement qui installe l’équivalence dans le cercle. Elle porte sur les orientations, les politiques, les règles de fonctionnement, c’est-à-dire le cadre à l’intérieur duquel l’activité se déploie. Le processus d’attribution des mandats par consentement, dit « élection sans candidat » ou « élection sociocratique, » en découle. Par ailleurs, les membres du cercle sont autonomes pour prendre des décisions opérationnelles, incluses dans le périmètre de pouvoir et de responsabilité qui leur est confié par le cercle : le consentement à ces décisions est donc donné par anticipation.
3 – Piloter l’organisation de façon dynamique
• raison d’être
• agilité (ressentir et ajuster)
• pilotage dynamique
• ici et maintenant, prochain petit pas
Le terme « sociocratie » (inventé par Auguste Comte – 1798-1857) réfère à un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation de se comporter comme un organisme vivant, de s’auto-organiser. Pour rendre cela possible, la sociocratie va permettre à toutes les composantes de l’organisation d’exercer un pouvoir souverain sur la gestion de l’ensemble comme c’est le cas chez les organismes vivants. Ses racines viennent du latin societas (société) et du grec krátos (autorité) : la gouvernance du socios, c’est-à-dire des personnes liées par des relations significatives, différent du dêmos (démocratie), masse d’individus ne partageant que quelques valeurs communes.
– La raison d’être est un terme emprunté à l’Holacracy et repris par Frédéric Laloux dans le livre Reinventing Organizations. En sociocratie : l’organisation dans son ensemble, et chaque sous-ensemble (cercle et individus) dispose d’un document décrivant sa vision, sa mission et ses buts (ces 3 concepts articulés désignant des questions spécifiques à se poser pour expliciter nos intentions communes).
– L’agilité est un terme qui se réfère aux méthodes Agiles qui sont très proches de la sociocratie dans leur démarche, mais qui portent sur la mise en œuvre des projets alors que la sociocratie s’intéresse à la gouvernance. Les méthodes Agiles méritent qu’on s’y intéresse pour elles-mêmes. Elles peuvent être très utiles pour une organisation sociocratique.
– Gouvernance dynamique : ce dynamisme est le résultat de l’organisation en cercles, du double-lien entre les cercles et de la prise de décision par consentement.
– Ici et maintenant, prochain petit pas, conviennent pour décrire la démarche empirique que permet l’auto-organisation, rendue possible par les 4 règles de base de la sociocratie (structure de décision en cercle, décision par consentement, doubles liens, élection par consentement).
4 – Structurer le(s) cercle(s)
• Elire un rôle de facilitateur
• Elire un rôle de secrétaire
• Déterminer qui a le rôle de premier lien (Holacracy) ou responsable exécutif (sociocratie)
• Elire le rôle de second-lien
Le cercle comme lieu de prise de décision est la première règle de la sociocratie. Le pré-requis à la constitution d’un cercle est que le cercle dispose d’une vision, d’une mission et de buts clairement explicités, que les membres auront à actualiser périodiquement par consentement.
5 – Définir qui décide quoi ?
• Définir la raison d’être des rôles
• Déterminer les redevabilités ou résultats
• Définir le périmètre d’autorité
• Attribuer des rôles
La terminologie « rôle » est empruntée à l’Holacracy. Chaque participant dispose d’un document écrit, rédigé par le cercle établissant son rôle et son domaine. Le domaine décrit le champ des responsabilités pour lesquelles le participant a acquis l’autorité déléguée par le cercle et pour lesquelles les responsabilités, autorité et tâches ont été définies.
6 – Cultiver une posture
• Écouter, coopérer, lâcher prise
• Reconnaître son ego, savoir se remettre en question, s’observer
• Servant Leader, bienveillance
• Souveraineté
• Confidentialité
Écouter, coopérer, lâcher prise… Ces savoir-être sont très utiles pour travailler collectivement mais ils ne relèvent pas de la gouvernance, ne se décrètent pas par une prise de décision, serait-elle collective. Il s’agit plutôt de la qualité des interactions entre les membres. Ce n’est pas un pré-requis, néanmoins le fonctionnement en cercle sociocratique offre un cadre propice au développement d’une posture d’écoute, de coopération…
La méthode sociocratique de gouvernance suppose l’apprentissage d’une nouvelle posture et de « désapprendre » certaines habitudes intégrées dans les environnements autocratiques de la société française. Toutefois, une véritable gouvernance sociocratique n’est pas garantie ultimement par les qualités personnelles des leaders de l’organisation (tout être humain est faillible) mais par son institutionnalisation dans les statuts de l’organisation, comme la constitution en Holacracy. C’est ce qu’on pourrait appeler le management constitutionnel.
En conclusion :
La sociocratie favorise :
• Une appropriation de la vision et des objectifs à tous les niveaux de l’organisation par leur explicitation et leur adoption par consentement.
• La prise de décisions stratégiques de manière collective et efficace au niveau approprié (cercles de décision).
• La valorisation de la contribution et la responsabilité de chacun (consentement).
• Une structuration efficace de la circulation de l’information à la fois descendante et remontante (double-lien)
• L’esprit d’équipe et l’émergence des leaders (élection sociocratique)
Elle renforce le sentiment d’appartenance à un collectif et facilite l’articulation du bien commun d’une entreprise collective et du bien particulier de ses membres.
À propos de l’auteur :
Associé chez AC Mentoring, mentor d’équipes agiles, Cyril aide les personnes et les équipes à gravir la montagne jusqu’au sommet de leur potentiel, tel un sherpa. Il intervient sur les thématiques du leadership et du management, en particulier dans un contexte de transformation. Il aide les dirigeants à avoir un meilleur contrôle sur leur organisation, en clarifiant la mission et les règles du jeu, en utilisant l’autogestion de petites équipes autonomes, comme il a pu le faire lui-même pendant 25 ans au cours de sa carrière d’opérationnel en entreprise.
Pour que Cyril y soit heureux, le monde a besoin de plus d’harmonie : des interactions plus apaisées, mais aussi une relation à soi-même plus sereine. Par conséquent, il aide les personnes à aligner ce qu’elles font avec ce qu’elles sont, avec bienveillance, optimisme, et toute son énergie.
Formé à la sociocratie et l’Holacratie, Coach certifié, Médiateur Professionnel, il a été formé au Mentorat d’équipes agiles par Spindle et intervient dans des organisations dans les secteurs des télécoms, des industries de santé et des biens de grande consommation, des services et de la distribution.
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Sources :
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Pour approfondir cela vous pouvez regarder les vidéos suivantes ou lire les articles proposés :
Vidéos :
Livres :
Sociocracy : The Organization of Decision Making, Gerard Endenburg, Eburon, 1998, 264 pages. Il existe un résumé officiel de 25 pages.
L’un des livres du fondateur de la méthode et, de loin, la plus intéressante présentation du modèle : un ouvrage tout à la fois pédagogique et respectant les subtilités de l’approche sociocratique.
La révolution Holacracy, le système de management des entreprises performantes, Brian Robertson, éditions LEDUC.S, 2016, 234 pages.
La méthode holacratie détaillée par son créateur, qui peut être complétée par la lecture de la constitution disponible sur le site d’iGi Partners, importateur français de la méthode.
Reinventing Organizations, Frédéric Laloux, éditions Diateino, 2015, 459 pages ou en livre illustré par Etienne Appert, 160 pages.
La bible des entreprises fonctionnant de façon « libérée » des méthodes de management issues du taylorisme, séparant l’action de la réflexion.
Brave new work, Aaron Dignan, Penguin Business, 2019, 268 pages
Livre illustrant de sa propre expérience la mise en place d’une gouvernance adaptative par le fondateur du mouvement « responsive organizations »
Sociocracy 3.0, The Novel, Jef Cumps, Lannoo Publishers, 2019, 228 pages.
Roman original décrivant la mise en place de la sociocratie dans une entreprise, au travers de personnages fictifs.
Many Voices One Song : Shared Power With Sociocracy, Ted J Rau & Jerry Koch-Gonzalez, Institute for Peaceable Communities, 2018, 294 pages
Un manuel extrêmement pragmatique qui est le fruit d’une belle expérience du modèle.
L’entreprise nouvelle génération, Luc Bretones, Philippe Pinault, Olivier Trannoy, Eyrolles, 414 pages.
La Vérité sur ce qui nous motive, Daniel H. Pink, Leduc.s, 2011, 256 pages
Un point clair, précis, concret et enrichi d’exemples des théories psychologiques de la motivation. Elles démontrent de manière irréfutable que les plus fortes sources de motivation d’une personne sont la possibilité d’être autonome, d’avoir un certain degré de maîtrise sur sa vie et son travail, et de donner un sens aux tâches qu’elle exerce. Même si l’ouvrage ne parle pas de sociocratie, il est un formidable plaidoyer pour ce mode de gouvernance.
L’excellence décisionnelle, Olivier Zara, Axiopole, 174 pages.
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