Sortir de la culture du chef
Lors de la réunion du 20 octobre 2017 du Club HOW (pour Human Organization of Work), think tank qui a pour vocation de remettre les femmes et les hommes au cœur de l’entreprise, nous avons pu rencontrer Michel Hervé, dirigeant du Groupe HERVE.
Michel Hervé, est un entrepreneur, un homme politique et un philanthrope. Sa vision de la société et du management des entreprises est à la fois innovant, humaniste et réaliste car fondé sur 30 ans d’expériences réussies en tant que dirigeant d’entreprises et d’organisations publiques et para-publiques.
Il a 16 ans au moment du procès du criminel de guerre nazi Eichmann en 1961 sur les charniers de la 2ème guerre mondiale. Il fait sienne la thèse d’Hannah Arendt selon laquelle Eichmann n’a fait qu’obéir pour « faire carrière ». Depuis lors, Michel Hervé se méfie autant de l’autorité que de l’obéissance et chérit le discernement. Aussi lorsqu’il fonde son entreprise, il limite la hiérarchie et la bureaucratie. Les équipes ont une taille humaine (environ 15 personnes). Elles se regroupent en territoires de moins de 200 personnes. Aujourd’hui le Groupe Hervé compte 2800 employés autonomes et responsables. Michel Hervé a passé le relais à son fils, Emmanuel, en 2015, et fait des questions d’éducation sa priorité. Il parraine l’école démocratique de Paris, fondée en septembre 2016.
Alors qu’il doit faire son service militaire, il est déclaré inapte au commandement ! Il hésite alors entre devenir chercheur, philosophe, ou entrepreneur. Finalement, il reprend l’entreprise familiale et constate la servitude des collaborateurs.
Prenant la posture du leader servant, il considère les salariés comme des entrepreneurs et leur dit « venez me voir seulement si vous avez besoin d’aide, mais pas pour me demander une autorisation ». Il souhaite développer le principe de subsidiarité dans son entreprise. Selon le principe de subsidiarité, la responsabilité d’une action revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Le principe de subsidiarité veille à ne pas déconnecter la prise de décision de ceux qui devront la respecter.
Après quelques années, Michel Hervé s’implique en politique locale, ce qui le rend moins disponible. Les employés du Groupe HERVE décident alors de s’entre-aider et de devenir plus autonomes. L’entreprise se transforme en TPE internes qui se rassemblent : modèle de regroupement de TPE par thématiques (comme l’organisation de la tribu des Iroquois qui a influencé la confédération des États Unis…). Cette organisation est fractale avec des « cercles » TPE, regroupés dans un cercle PME, puis ETI puis le Groupe.
Il retrace cette aventure et ce qu’il en tire aujourd’hui comme philosophie entrepreneuriale dans son dernier livre « Une nouvelle ère, sortir de la culture du chef« . Succédant à l’ère tribale et à l’ère monarchique, une ère concertative s’est ouverte depuis une vingtaine d’années. Cette nouvelle ère est caractérisée par l’horizontalité, l’acentralité, la responsabilité et l’adaptation innovante. Promesse d’ouverture, d’échange et de création, elle favorise l’attention à la nature, la paix sociale et l’épanouissement personnel. Il faut aujourd’hui adopter un mode de gouvernance qui garantisse la participation et la représentation, la liberté et l’égalité, la fraternité et l’acentralité, le holisme et l’harmonie. Ce mode d’organisation fractal, c’est la démocratie concertative.
D’ailleurs, si on considère une perspective historique, il y a -10 000 ans à l’ère Summer, la sédentarisation change le mode d’alimentation, développe l’agriculture et modifie l’organisation tribale. Déjà à l’époque l’organisation est en petits groupes qui coopèrent. Car pour rester sur place il faut préserver la nature pour éviter de mourir de faim, en ne prenant que le nécessaire, en étant en harmonie avec la nature. Cela influença aussi les comportements avec de l’harmonie entre les personnes de la communauté. D’ailleurs le bonheur vient de « Bon-eür » dont la racine « Eür » est issu du latin et signifie « accroissement accordé à une entreprise » soit croissance, développement.
Depuis 45 ans, la mission de Michel Hervé a été de développer le bonheur sous toutes ses formes. Car pour créer une « entre-prise » (prise de risque), il faut bien se connaitre pour prendre un risque, lâcher prise, être heureux. Il existe d’ailleurs plusieurs intelligences : rationnelle (l’Intelligence Artificielle va de plus en plus investir ce domaine), émotionnelle (l’intelligence du coeur) et physique, manuelle, kinésique. On développe sa singularité et ses intelligences au travers des expériences multiples, des voyages, des formations, loisirs, de l’éducation….
Quelques règles de vie selon Michel Hervé :
La liberté : plutôt que d’édicter les règles du haut (transgressées) il faut les co-construire pour qu’elles soient efficaces
La débrouillardise : entreprendre (et apprendre de ses erreurs), voyager (apprendre des autres), philosopher (se poser des questions), être débrouillard dans le brouillard et désapprendre ce qu’on a appris à l’école, pour supporter les incertitudes… et développer sa tolérance à l’ambiguïté…
Dans les organisations, on retrouve généralement trois types de profils :
Les moutons : ceux qui manquent de confiance en eux, se sous-estiment, recherchent la sub-ordination. Pour sortir de l’anxiété ils ont besoin de reconnaissance, d’appui, ont peur de l’échec..
Les renards : ce sont des bonimenteurs, se victimisent, manipulent. Il favorisent l’opacité, se méfient des autres, font un déni de leurs erreurs, se considèrent en compétition. Soit ils rejettent la faute sur les autres, soit se surestiment, sont dans la duplicité et ont besoin de leur pouvoir pour garder les moutons à leur place.
Les dauphins : ceux qui ont confiance en eux, font preuve d’assertivité, coopérent, font appel à un coach.
La vrai révolution : ce n’est pas la révolution française de 1789 mais la révolution digitale mondiale de 1989 (Tim Berners-Lee invente le World Wide Web en réunissant le langage hypertexte et Internet pour permettre aux chercheurs du CERN de communiquer entre eux en utilisant le réseau de communication militaire américain ARPANET. En 1992, Michel Hervé tente de convaincre la France d’y rentrer mais Minitel gagne…
Aujourd’hui les organisations sont encore très hiérarchiques, et le pouvoir est peu partagé. Mais cela va changer.
Toute vérité passe par 3 stades selon Schopenhauer, et cela s’applique aux innovations et changements majeurs :
- D’abord on la ridiculise
- Puis on s’y oppose violemment
- Enfin, on l’accepte comme si elle allait de soi
Le type de management du XXIème siècle sera démocratique. Mais cela prend du temps pour émerger, même si des signes annonciateurs existent depuis plus de 30 ans. Michel Hervé y croit depuis le début. Comme Peter Drucker, le pape du management américain, qui disait déjà en 1993 » “nous allons bientôt assister à un changement majeur dans la société : les critères actuels de la propriété et du capital vont progressivement être remplacés par ceux de l’usage et de la connaissance”… ».
Il était visionnaire !
Pour regarder la vidéo de l’événement vous pouvez cliquer sur ce lien : Club How du 20 octobre 2017. La dernière réunion du Club HOW de 2017 aura lieu le 13 décembre de 12h à 14h. Elle sera consacré au corporate hacking : témoigneront des dirigeants d’Airbus Group et des 3Suisses.
Les événements du club HOW sont ouverts à tous et gratuits grâce au soutien de Bpifrance. Le Club invite des dirigeants et managers à témoigner sur une initiative qu’ils ont menée à bien en ce sens. Nous avons fait le choix de dénicher des témoignages sincères de personnes humbles, au détriment de ceux qui disent haut et fort savoir ce qu’il faudrait faire dans l’idéal, même si les derniers sont plus faciles à trouver. Mais la part belle est faite aux retours d’expérience de dirigeants d’entreprise et aux échanges avec la salle.
Ecrit par Cyril OGEE.
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